mardi 9 février 2021

La fille de mon peuple et la femme perte de sang Mt9 Mc5

Résurrection de la fille de Jaïrus, chef de la synagogue

et guérison de la femme qui touche Jésus.

 

Marc 5:21-43

21 Jésus dans la barque regagna l'autre rive, où une grande foule s'assembla près de lui. Il était au bord de la mer. 
22 Alors vint un des chefs de la synagogue, nommé Jaïrus, qui, l'ayant aperçu, se jeta à ses pieds, 
23 et lui adressa cette instante prière : Ma petite fille est à l'extrémité, viens, impose-lui les mains, afin qu'elle soit sauvée [Sozo] et qu'elle vive. 
24 Jésus s'en alla avec lui. Et une grande foule le suivait et le pressait.
25 Or, il y avait une femme atteinte d'une perte de sang* depuis douze ans. 
26 Elle avait beaucoup souffert entre les mains de plusieurs médecins, elle avait dépensé tout ce qu'elle possédait, et elle n'avait éprouvé aucun soulagement, mais était allée plutôt en empirant. 
27 Ayant entendu parler de Jésus, elle vint dans la foule par derrière, et toucha son vêtement. 
28 Car elle disait : Si je puis seulement toucher ses vêtements**, je serai guérie [Sozo]
29 Au même instant la perte de sang s'arrêta, et elle sentit dans son corps qu'elle était guérie [Iaomai] de son mal. 
30 Jésus connut aussitôt en lui-même qu'une force était sortie de lui; et, se retournant au milieu de la foule, il dit : Qui a touché mes vêtements ? 
31 Ses disciples lui dirent : Tu vois la foule qui te presse, et tu dis : 
Qui m'a touché ? 
32 Et il regardait autour de lui, pour voir celle qui avait fait cela. 
33 La femme, effrayée et tremblante, sachant ce qui s'était passé en elle, vint se jeter à ses pieds, et lui dit toute la vérité. 
34 Mais Jésus lui dit :  Ma fille, ta foi t'a sauvée [Sozo] ***; 
va en paix, et sois guérie [Hugies] de ton mal.
35 Comme il parlait encore, survinrent de chez le chef de la synagogue des gens qui dirent : 
Ta fille est morte ; pourquoi importuner davantage le maître ? 
36 Mais Jésus, sans tenir compte de ces paroles, dit au chef de la synagogue : 
Ne crains pas, crois seulement. 
37 Et il ne permit à personne de l'accompagner, si ce n'est à Pierre, à Jacques, et à Jean, frère de Jacques. 
38 Ils arrivèrent à la maison du chef de la synagogue, où Jésus vit une foule bruyante et des gens qui pleuraient et poussaient de grands cris. 
39 Il entra, et leur dit : Pourquoi faites-vous du bruit, et pourquoi pleurez-vous ? 
  L'enfant n'est pas morte, mais elle dort. 
40 Et ils se moquèrent de lui. Alors, ayant fait sortir tout le monde, il prit avec lui le père et la mère de l'enfant, et ceux qui l'avaient accompagné, et il entra là où était l'enfant. 
41 Il la saisit par la main, et lui dit : Talitha koumi, ce qui signifie :  
Jeune fille, lève-toi, je te le dis. 
42 Aussitôt la jeune fille se leva, et se mit à marcher ; car elle avait douze ans
Et ils furent dans un grand étonnement. 
43 Jésus leur adressa de fortes recommandations, pour que personne ne sache la chose ; et il dit qu'on donne à manger à la jeune fille.
 
(*) "une femme atteinte d'une perte de sang [haimorrheo]" Mt 9:20 (l'hémorroïsse cf. Lv 15:25)
 
(**) "toucha le bord [kraspedon] de son vêtement" Mt 9:20."toucher le bord [kraspedon] de son vêtement. Et tous ceux qui le touchaient étaient guéris [Sozo]" Mc 6:56.
[kraspedon] : mot grec non présent en Mc 5:28, traduit par franges en Mt 23:5
"une frange [tsiytsith] au bord de leurs vêtements" Nb 15.38, hébreu francisé tsitsit (Wiki).
 
(***) "Ma fille" : Ici, la femme sans nom, passe de l’anonymat de la foule à un début d’identité donnée par le Sauveur. 

"ta foi t'a sauvée [sesōken]" idem Mt 9:22 (parfait, action déjà accomplie et permanente), va plus loin que la guérison du corps, elle est salut de l’entièreté de sa personne.

La guérison et le Salut de la femme hémorragique met en relief un accomplissement de la mission de Jésus : Mt 1:21 c'est lui qui sauvera [Sozo] son peuple de ses péchés. 
 
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Une figure de la rédemption d'Israël et des nations1.

Cette lecture ne nie pas le sens littéral du texte.

Cet épisode de l'évangile de saint Marc nous plonge au cœur du mystère de l'histoire de la rédemption d'Israël et des nations. 

Voici donc que la fille du chef de la synagogue est mourante, et son cri de détresse arrive aux oreilles du Seigneur, comme il est écrit : Pourquoi m'ont-ils irrité par leurs idoles ? Je suis meurtri de la meurtrissure de mon peuple, je suis dans le deuil, et je pleure nuit et jour les morts de la fille de mon peuple* ! (Jr 8:19-22). Cette fille est l'image du peuple d'Israël gémissant dans l'attente du salut messianique. Mais voici Jésus le Messie, Fils de David qui n'a été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël (Mt 15:24) ; c'est pourquoi il se porte d'abord au secours de la fille du chef de la synagogue pour lui imposer les mains, lui le grand-prêtre des Hébreux, afin que son peuple soit sauvé et qu'il vive selon les promesses. 

Cependant chemin faisant, alors qu'une femme touche les franges rituelles du vêtement de Jésus, une force sort de lui qui la guérit et la purifie de son flux de sang, elle que les médecins avaient ruinée sans pouvoir jamais l'apaiser. Cette femme représente les nations païennes affligées par l'impureté de l'idolâtrie, égarées par la médecine des fausses doctrines. Ayant appris ce que le Dieu d'Israël fait par son Messie Jésus, ces nations viennent "par derrière" dit l'évangile, comme "greffées" (Rm 11:24) au peuple des Hébreux, pour "toucher" le mystère du Christ et obtenir par la foi le salut et la paix. C'est ce qui est écrit : l’Évangile est puissance de Dieu pour le salut de quiconque croit, du Juif d'abord puis du Grec (Rm 1:16). 

Néanmoins, lorsque Jésus arrive à la maison du chef de la Synagogue, il doit subir l'incrédulité et la moquerie ; ainsi en est-il dans l'histoire du salut : selon la sagesse du plan divin, une partie d'Israël, momentanément aveuglé (Rm 11:25), refusa le salut immédiat en Jésus-Christ, pour que les nations accèdent à la vérité et se nourrissent d'une partie de la miséricorde tombée de la table des Hébreux (Mc 7:27-28). Enfin, le "Talitha koum" que Jésus adresse à la jeune fille, et qui la rappelle à la vie, prophétise le relèvement et l'illumination messianique d'Israël par la Parole vivifiante de son Messie (Rm 11:15). Nous qui avons part à la richesse de la racine (Rm11:16-18), accueillons sans orgueil le mystère de l'amour de Dieu pour son peuple, et comme nous y exhorte saint Paul, ne faisons par le fier aux dépens de l'olivier franc d'Israël (Rm 11:20).

(*)  La fille de mon peuple : le peuple lui-même personnifié. 
Cf. Ésaïe 22:4; Jérémie 6:26 et l'expression analogue fille de Sion Ésaïe 1:8 ou autre traduction la fille Siôn (CHU) et l'expression fille de Babylone Ésaïe 47:1.

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La guérison de l’hémorroïsse - Interprétation patristique

 

(Extraits du document de Martine Dulaey)2

 

Mt 9:20-22 TOB (cf. Mc 5:25-34 ; Lc 8:43-48) ; 

« Une femme, souffrant d’hémorragies depuis douze ans, s’approcha par derrière et toucha la frange de son vêtement. Elle se disait : “Si j’arrive seulement à toucher son vêtement, je serai sauvée.” Mais Jésus, se retournant et la voyant, dit : “Confiance, ma fille ! Ta foi t’a sauvée.” Et la femme fut sauvée dès cette heure-là »
(ndlr : le même texte incluant la résurrection de la fille du chef, Mt 9:18-26).
 
I - Les leçons du sens littéral
...
Le sens littéral du texte n’est donc pas négligé par les Pères. Le récit de cette guérison est d’abord à accueillir dans son sens propre : c’est réellement qu’en touchant le vêtement de Jésus une femme a été guérie d’hémorragies humainement incurables, souligne Jérôme ;  
l’authenticité du fait est le fondement nécessaire des exégèses figurées.
...
 
II - La femme, figure de l 'humanité
 
Dans les trois Evangiles synoptiques, l’histoire de l’hémorroïsse est encastrée dans le récit de la guérison de la fille de Jaïre, et c’est en se dirigeant vers la maison du chef de la synagogue que Jésus est touché par la femme. 
Les Pères n’ont pas manqué de relever le fait, et ont interprété les deux épisodes en fonction l’un de l’autre : 
la fille de Jaïre, notable juif ou chef de synagogue, est le type du peuple juif
l’hémorroïsse devient par contraste la figure des païens qui viennent à Jésus pour trouver le salut, bien que, dans l’Évangile, rien ne permette de dire que la femme n’est pas juive, le contexte invitant à situer la rencontre près du lac de Tibériade. 
Cependant, au début du IVe siècle, la tradition locale de Césarée de Philippe (Paneas*) faisait de la femme, nommée Bemikè30, une païenne originaire de la ville, où l ’on montrait encore sa maison et une statue commémorant sa guérison miraculeuse ;  l’Histoire ecclésiastique d’Eusèbe* a divulgué cela31.
(*) Les signes à Panéas de la grande puissance de notre Sauveur (cf. Eusèbe VII chap. XVIII)3  
Puisque je suis venu à mentionner cette ville, je ne crois pas juste de passer un récit digne de mémoire même pour ceux qui seront après nous. L’hémorrhoïsse, que les Saints Évangiles nous apprennent avoir trouvé auprès de Notre Sauveur la délivrance de son mal, était, dit-on, de là ; on montre même sa maison dans la ville et il reste un admirable monument de la bienfaisance du Sauveur à son égard. ... 
 
L’hémorroïsse représente donc l’Église des Gentils : cette exégèse est presque universelle. ...
Laissons la parole à Augustin, qui exprime bien l’opinion générale : 
« La fille du chef de la synagogue désignait le peuple juif, pour qui était venu le Christ qui a dit : 
“Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël” (Mt 15:24). 
Quant à la femme qui souffrait d’hémorragies, elle figurait l’Église des nations, à qui le Christ n ’avait pas été envoyé dans sa présence physique » ; « c’est en effet en Judée qu’il a eu une existence corporelle et visible »36. 
Ce n’est pas un hasard si l’hémorroïsse bénéficie de la guérison avant la fille de Jaïre : les païens ont été les premiers à se convertir en nombre au christianisme. 
« Ce qui était préparé pour Israël a été pris par le peuple des païens », commente Hilaire37. « Le Verbe de Dieu, venu pour les Juifs, a été attiré par les Gentils, et ceux qui n’avaient pas cru en lui par la Loi ont été les premiers à croire par la grâce », dit Ambroise38. « En allant vers l’une il guérissait l’autre », dit encore Jérôme39. Le même thème se rencontre chez Augustin, qui rappelle après bien d’autres que le peuple juif, représenté par la fille de Jaïre, sera lui aussi sauvé à la fin des temps40.
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VII - Les franges du vêtement de Jésus
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Dans la symbolique chrétienne ancienne, le vêtement représente le corps, et donc, pour Chromace d’Aquilée, l’extrémité du vêtement de Jésus évoque la phase ultime de l’histoire des hommes où prend place l’Incarnation du Fils : « Par ce symbole sont désignés les derniers temps où le Fils de Dieu, assumant un corps d’homme, a daigné venir pour le salut du monde182. » Sous l’influence probable du Commentaire sur Zacharie de Victorin de Poetovio, Chromace voit dans le fait que la femme touche seulement la frange de Jésus l’accomplissement d’une prophétie de Zacharie : « La femme n’a pas même voulu toucher son vêtement, mais sa frange seulement. Car elle croyait que cela suffisait à son salut de toucher fût-ce la frange du vêtement du Seigneur, sachant qu’il était celui dont l’Esprit Saint avait jadis affirmé par le prophète Zacharie : “Ainsi parle le Seigneur tout-puissant : En ces jours-là, dix hommes saisiront les franges d’un Juif unique en disant : Nous irons avec toi, car nous avons entendu dire que Dieu est avec vous” (Za 8:23). Si l’on peut entendre cela de tous les saints, nous remarquons que cela a été dit en particulier de la personne du Seigneur, qui reçut pour notre salut un corps de la race des Juifs, parce que “le salut, est-il dit, vient des Juifs” (Jn 4:22). La frange de son vêtement, c’est sa venue dans l’humilité de la chair ; des hommes de toutes langues, par la foi, l’ont saisie183. »
Toucher le vêtement de Jésus, c’est donc connaître par la foi le Christ incarné.
Le contact avec son vêtement n’a pas seulement conféré à l’hémorroïsse la guérison physique, il l’a conduite à la foi au Christ et au salut, parce que, dit Jérôme, « le corps qu’il a pris, nous mène au Verbe de Dieu et plus tard à la jouissance de sa majesté184 ».
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Ce qu’on peut toucher de Dieu en ce monde, ce qui le rend pour ainsi dire sensible et palpable, ce sont les charismes de l’Esprit Saint, au nombre desquels Paul compte le don de guérison (1 Co 12:9). C’est cela qui est représenté par les franges du vêtement du Christ selon Hilaire. Dans son Commentaire sur Matthieu, il écrit : « Dans sa foi la femme a hâte de toucher en compagnie des apôtres le don de l’Esprit Saint, qui sort du corps du Christ à la manière d’une frange, et, peu après, elle est guérie193. »
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Origène commente Lv 6:18 « quiconque touche à cette chair sainte est sanctifié », il voit dans le sacrifice en question la figure de celui du Christ et ajoute : « De ce sacrifice, quiconque touche la chair est aussitôt sanctifié s’il est impur, guéri s’il souffre d’un mal. Ce fut le cas par exemple de cette femme atteinte d’hémorragie : elle comprit que le Christ était la chair du sacrifice, chair très sainte ; et c’est pour avoir vraiment compris ce qu’était la chair très sainte qu’elle s’approcha. La chair sainte même, elle n’osa la toucher, car elle n’avait pas encore été purifiée, ni n’avait saisi ce qui était parfait ; mais elle toucha la frange du manteau dont la chair sainte était couverte, et par ce contact plein de foi, elle fit sortir de la chair une force qui la purifia de l’impureté et la guérit du mal dont elle souffrait213. » Pour Origène, la chair du Christ est souvent l’Écriture, mais elle est aussi l’eucharistie, à laquelle il est difficile de ne pas voir ici une allusion. 
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(1) Texte extrait d'un livre de prière, "Ephata" Vol 1.
(2) La guérison de l’hémorroïsse (Mt 9:20-22) dans l’interprétation patristique et l’art paléochrétien - Martine Dulaey, disponible sur Brepolsonline ou Academia.
 
Nota: Les chiffres des renvois internes au document (2) sont conservés, sans que les notes concernées soient reportées. Pour ces détails, consulter le document de Martine Dulaey.

 
 
 

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