jeudi 13 janvier 2022

Mille, 6000 ans et Millénium (Ap 20)

 

'Mille' dans la Bible.

 
 
Deutéronome 1:11 Que l’Éternel, le Dieu de vos pères, vous augmente mille fois autant, et qu'il vous bénisse comme il vous l'a promis !
Deutéronome 5:10 et qui fais miséricorde jusqu'en mille générations à ceux qui m'aiment et qui gardent mes commandements.
Psaumes 105:8 Il se rappelle à toujours son alliance, Ses promesses pour mille générations,
 
L’alliance pour mille générations esquisse « l’alliance perpétuelle ou éternelle » 'berit ‘olam' (cf. Gn 9:16 ou Is 55:3 ; Jr 32:40 ; Ez 16:60 ; Ez 37:26).
 
DRB 10 Car un jour dans tes parvis vaut mieux que mille.
CHU 11 Oui, quel bien, un jour en tes parvis, plus que mille !
TOB 11 Puisqu’un jour dans tes parvis en vaut plus de mille,
(ailleurs n'est pas dans l'original hébreu, même si le sens est sous-entendu "loin de Dieu").
 
Dans ce verset, mille a le sens de "beaucoup" ou "d'un nombre infini", et n'a évidemment pas ici, le sens littéral d'une durée précise.

Signalons aussi l'usage du nombre mille, comme idée d'abondance : Ct 4:4; 8:11-12; Dn 5:1;  Ps 91:7
 
 

'Mille ans' dans la Bible.

 
 
Cette expression 'mille ans' n'apparaît que dans neuf versets de la bible dont six fois en Apocalypse chapitre 20.
 
Notons un emploi peu connu dans la Bible hébraïque (A.T.) :

Ecclésiaste 6:6 
Et quand celui-ci vivrait deux fois mille ans, sans jouir du bonheur, tout ne va-t-il pas dans un même lieu ?
 
Ici, ce nombre doublé, même s'il n'a pas le sens spécifique de celui en Ap 20, est une hyperbole ou symbole pour exprimer un temps indéfini, long à vue humaine et qui appartient à Dieu.
 
Poursuivons avec les autres emplois de 'mille ans', deux en rapport avec le jour, puis les six d'Apocalypse 20.
 
 

'Mille ans' et retard de l'avènement du Seigneur.

 
2 Pierre 3:8-9
 8 Mais il est une chose, bien-aimés, que vous ne devez pas ignorer, c'est que, 
devant le Seigneur, un jour est comme mille ans, et mille ans sont comme un jour. 
  9 Le Seigneur ne tarde pas dans l'accomplissement de la promesse, comme quelques-uns le croient; mais il use de patience envers vous, ne voulant pas qu'aucun périsse, mais voulant que tous arrivent à la repentance. 
 
Psaumes 90:4 
Car mille ans sont, à tes yeux, 
Comme le jour d'hier, quand il n'est plus, 
Et comme une veille de la nuit. 

Le "Nouveau commentaire biblique, Éditions Emmaüs" dans la note 8 pour 2 Pierre 3:8, explique au sujet de "Le Seigneur ne tarde pas" :
La citation tirée du Ps 90.4, de même que son corollaire, met l'accent sur le fait que Dieu est en dehors du temps.  
Il serait injustifié de baser sur ce verset la doctrine du millénium, puisqu'il n'est pas question de cela ici.
 
Il semble raisonnable d'ajouter que ce texte n'invite pas non plus, à faire un rapprochement avec la théorie de l'épître de Barnabé (histoire humaine de six mille ans), cf. document (1).
 
Dans la seconde épître de Pierre, l'auteur explique simplement "le retard de l'Avènement du Seigneur" par cette formule avec 1000 ans et un jour, indiquant ainsi que le Seigneur a d'autres mesures que nous.
 
Y aurait-il un embryon ou une confirmation de typologie ? Continuons.
 

Les six citations de 'mille ans' d'Apocalypse 20.

 
Apocalypse 20:2-7
2 Il saisit le dragon, le serpent ancien, qui est le diable et Satan, et il le lia pour mille ans
3 Il le jeta dans l'abîme, ferma et scella l'entrée au-dessus de lui, afin qu'il ne séduise plus les nations, jusqu'à ce que les mille ans soient accomplis. 
Après cela, il faut qu'il soit délié pour un peu de temps.
4 Et je vis des trônes; et à ceux qui s'y assirent fut donné le pouvoir de juger. 
Et je vis les âmes de ceux qui avaient été décapités à cause du témoignage de Jésus et à cause de la parole de Dieu, et de ceux qui n'avaient pas adoré la bête ni son image, et qui n'avaient pas reçu la marque sur leur front et sur leur main. 
Ils revinrent à la vie, et ils régnèrent avec Christ pendant mille ans. 
5 Les autres morts ne revinrent point à la vie jusqu'à ce que les mille ans soient accomplis. 
C'est la première résurrection. 
6 Heureux et saints ceux qui ont part à la première résurrection ! 
La seconde mort n'a point de pouvoir sur eux; mais ils seront sacrificateurs de Dieu et de Christ, et ils régneront avec lui pendant mille ans.
7 Quand les mille ans seront accomplis, Satan sera relâché de sa prison.

Dans ces versets, les 'mille ans' représentent une seule et même période d'une durée prolongée, mais limitée, qui finit par être accomplie. Une telle période de 'mille ans' n’est pas mentionnée ailleurs dans l’Écriture. Ce nombre est à envisager comme symbolique.
 
Les rabbins juifs assignaient aux « jours du Messie » une durée tantôt de quatre cents ans, tantôt de mille ans. Ils fondaient la première évaluation sur Genèse 15.13, combiné avec Psaumes 90.15, la seconde sur Ésaïe 63.4, combiné avec Psaumes 90.4 (BAN). 

Ce texte Apocalypse 20 est problématique et c'est pour cela qu'il est si différemment interprété sans qu'aucune proposition ne soit pleinement convaincante et satisfaisante. L'exégèse de ce passage dépendra largement de notre façon globale d'aborder le livre de l'Apocalypse ainsi que les autres textes des Saintes Écritures.
Pour certains, le sens naturel de 'la première résurrection' dans le contexte immédiat, conduit à comprendre une résurrection réelle, ordonnée dans le temps (1) (2)
Pour d'autres, tenants d'une exégèse symbolique, il s'agirait d'une résurrection spirituelle (3).
 
Nota : Dans la Bible hébraïque, les prophètes n'ont pas distingué les deux évènements* de la venue du Messie Es 9:6-7 (Incarnation/Rédemption et Venue en Gloire/Règne), peut-être il y a quelque chose de semblable ici et chapitres suivants Ap 21-22.
(*) La période intermédiaire actuelle, progression du Royaume Mt 13:31-32 (à travers un peuple de Saints, corps du Messie), règne établi à la résurrection du Christ (Mt 28:18; He 2:8) et qui sera pleinement manifesté lors de son Avènement (Mt 19.28; 25.31).

Le Millénium ou le Règne de mille ans dans l'Apocalypse de Jean : voir (8) (9) (10) (11)


Pères de l’Église, 'six mille ans' et 'mille ans'.

 

Idée d'une durée du monde de 6000 ans.

 
- Cette opinion qui attribue au monde une durée de six mille ans, a en sa faveur l'autorité d'un certain nombre de Pères (Irénée, Hilaire, Justin, Lactance, Jérôme, Augustin), mais faut-il la prendre en considération ?
 
- Textes du Talmud de Babylone issus du traité Sanhedrin 97a et Abodah Zarah 9a.
Ce passage ne possède aucun parallèle sous cette forme dans la littérature palestinienne (Talmud de Jérusalem, midrash halakha etc.). ... On doit en effet reconnaître que cette baraïta peut être assimilée au résumé de la cosmogonie iranienne ...(4)
- tradition judaïque (estimée à 150 ans après le retour d'exil), Sanhedrin 97a.14 :
L'école d'Eliyahu a enseigné: Six mille ans est la durée du monde. Deux mille des six mille ans sont caractérisés par le chaos; deux mille ans sont caractérisés par la Torah, depuis l'ère des Patriarches jusqu'à la fin de la période mishnaïque (Ndlr : vers + 200) ; et deux mille ans sont la période de la venue du Messie. 
- et notons au paragraphe précédent une baraïta plus tardive, Sanhedrin 97a.13 :
Il est enseigné dans une baraïta conformément à l'opinion du Rav Ketina : tout comme l'année sabbatique abroge les dettes une fois tous les sept ans, le monde abroge son existence typique pendant mille ans tous les sept mille ans, comme il est dit : «Et le Seigneur seul sera exalté ce jour-là», et il déclare: «Un psaume, un chant pour le jour du Shabbat» (Psaumes 92: 1), signifiant un jour, c'est-à-dire mille ans, qui est entièrement Shabbat. Et il dit en explication de l'équation entre un jour et mille ans: «Pendant mille ans à tes yeux sont comme hier quand il est passé, et comme une montre dans la nuit» (Psaumes 90: 4).
 
Exode 20:11 Car en six jours l'Eternel a fait les cieux, la terre et la mer, et tout ce qui y est contenu, et il s'est reposé le septième jour : c'est pourquoi l'Eternel a béni le jour du repos et l'a sanctifié. 
 
L’Écriture souligne par-là, l'importance du shabbat donné au Sinaï, mais pas une division septénaire de l'histoire qu'on rattacherait aux jours créateurs. ... Ici, il n'y a plus de fondement scripturaire car le Psaume 90:4, si souvent invoqué, oppose seulement l'éternité de Dieu à la brièveté de la vie humaine. (Livre "La doctrine des âges du monde" A. Luneau(5) p. 38-39, cf. aussi p. 41-42) pour "les sept mille ans ne sont pas d'origine juive ; ils furent empruntés aux Mages hellénisés. ... le septénaire qui met en évidence l'influence des sept astres errants...".

Jérôme de Stridon (v.347-420), dans EXPLICATION DU PSAUME LXXXIX. AU PRETRE
CYPRIEN.
(Ps 90:4) atteste que c'est une coutume sans l'approuver, ni la réfuter.
Ce que dit ici le prophète, que " mille ans sont aux yeux de Dieu comme le jour d'hier qui est passé," revient à ce que l'apôtre saint Paul dit dans son épître aux Hébreux : " Jésus-Christ était hier, il est aujourd'hui, et il sera le même dans tous les siècles." Cet endroit du prophète, joint à ce que nous lisons dans l'épître qu'on attribue à saint Pierre (2 Pi 3:8), me fait juger qu'on a coutume dans l’Écriture sainte de prendre mille ans pour un seul jour, et que le monde ayant été créé en six jours, l'on a cru qu'il ne devait subsister que durant six mille ans, après quoi viendraient le septième et le huitième jour, où nous devions goûter le repos du véritable sabbat, et être rétablis par la circoncision dans notre ancienne innocence.
 
Ambroise de Milan (339-397), dans son Traité sur l'Évangile de S. Luc, tome II (SC 52), écrit à propos de la Transfiguration Luc 9:28-36 :
"Dans quel sens dit-il : « Huit jours après ces paroles ? » Ne serait-ce pas que celui qui entend et croît les paroles du Christ verra la gloire du Christ au temps de la résurrection ? Car c'est le huitième jour qu'a eu lieu la résurrection, et c'est pourquoi nombre de psaumes sont intitulés : pour l'octave. Ou bien peut-être, ayant dit que sacrifier sa vie pour la parole de Dieu, c'est la sauver, il a voulu montrer qu'il accomplirait ses promesses à la résurrection. Mais Matthieu* et Marc mentionnent qu'ils furent emmenés six jours après. Nous pourrions dire : après six mille ans, car mille ans sont aux yeux de Dieu comme un jour (Ps. 90:4) ; mais on compte plus de six mille ans (Ndlr : se fondant sur une fausse chronologie), et nous préférons entendre ces six jours comme un symbole : tout l'ouvrage du monde ayant été créé en six jours, entendons par le temps l'ouvrage, par l'ouvrage le monde ; ainsi nous est montrée la résurrection, qui aura lieu quand la durée du monde sera accomplie. Ou bien celui qui s'est élevé au-dessus du monde et qui a dépassé les moments de ce siècle attendra, comme établi sur les hauteurs, le fruit éternel de la résurrection à venir. Dépassons donc les œuvres du monde, afin de pouvoir contempler Dieu face à face. « Gravissez la montagne, vous qui donnez la bonne nouvelle à Sion » (Ésaïe 40.9)."
 
(*) Voir commentaire "Après six jours" par Hilaire (Transfiguration selon Matthieu) et le sixième âge selon Augustin, cf. document (1).
 

Certains Pères ajoutent aux 6000 ans, le millénium de 1000 ans.

 
A la théorie* énoncée dans l’épître de Barnabé : « Dieu fit en six jours les œuvres de ses mains ; il les eut achevées le septième jour ; il se reposa ce jour-là et le sanctifia... cela signifie que Dieu en six mille ans amènera toutes choses à leur fin ... et Quand son Fils sera venu, il établira le repos », Irénée de Lyon ajoute le millénaire sabbatique (d'une durée de 1000 ans) (1).
 
(*)     6000 ans (terme non présent dans la bible) + repos, => 6000 ans + 1000 ans
     // "6 jours" (terme présent dans la bible Concordance biblique « six jours ») +  7e jour de repos.
     Voir Théologie du Judéo-Christianisme (en pdf) Chapitre XI - Le Millénarisme (p. 379-404)
 
Notons que l'auteur de l'épître de Barnabé ne parle pas du septième jour comme d'une période de 1000 ans et y associe le repos et le huitième jour (1).
 
- Pour les premiers pères de l’Église dit millénaristes les "mille ans" sont une période après le second avènement. Leur "exégèse" s'appuie avant tout sur Ps 90:4 et l'ensemble des écritures, mais peu sur le chapitre 20 de l'Apocalypse (connue d'Irénée de Lyon  (v. 130-202)).
 
S'y ajoutent des spéculations sur la vie d’Adam mort à neuf cent trente ans Ge 5.5 alors qu’il devait mourir le jour même de son péché Ge 2:17. Justin citant Es 65:22 "Car c’est comme les jours de l’arbre de la vie* que seront les jours de mon peuple", compare cet âge d'or à venir, au séjour d'Adam au paradis (6).
(*) Traduction Septante LXX au lieu de "les jours des arbres".
 
- Irénée de Lyon, "Contre les Hérésies Liv.5 ch.36,3" fait la synthèse des deux courants (durée histoire du monde 6000 ans + millénaire sabbatique de1000 ans) (1) :
"Jean a vu par avance la première résurrection Ap 20:5-6, qui est celle des justes, et l'héritage de la terre qui doit se réaliser dans le royaume...  
C'est ce qu'on trouve déjà dans le livre de la Genèse, d'après lequel la consommation de ce siècle aura lieu le sixième jour Gn 1:31-2:1, c'est-à-dire la six millième année
puis ce sera le septième jour, jour du repos, au sujet duquel David dit: "C'est là mon repos, les justes y entreront Ps 132:14 Ps 118:20" : ce septième jour est le septième millénaire Ap 20:4-6, celui du royaume des justes, dans lequel ils s'exerceront à l'incorruptibilité, après qu'aura été renouvelée la création pour ceux qui auront été gardés dans ce but."
 
Pour cette exégèse, l'histoire du monde correspondrait aux jours de la création et donc après 6000 ans d'histoire humaine, il y aurait un millénaire sabbatique avant l'état final de félicité.
 
Ces Pères du 2e siècle ont pu être influencés par les textes de la tradition judéenne et apocalypses (IV Esdras II Baruch) (6)
Mais cela n'est pas certain à la fin du 1er siècle, selon Simon C. Mimouni (7).
 
- Jérôme de Stridon considérait les idées millénaristes comme archaïques. A cet effet, il modifiera les chapitres de la fin du "Commentaire sur l'Apocalypse" rédigé par Victorin de Pettau millénariste, pour en  proposer une nouvelle édition.

 

Le Règne de mille ans dans l'Apocalypse de Jean.

 
L'exégèse d'Apocalypse 20:1-10 est difficile et pour ma part reste ouverte. 
Faut-il rappeler que la lecture linéaire de l'Apocalypse (ou l’ordre d’exposition des tableaux) n'implique pas d'y lire obligatoirement une succession chronologique des évènements décrits.
 

Deux types de lecture se distinguent nettement pour cette vision :

 
- Soit la description d'une nouvelle étape ou période de transition, souvent en lien avec le chapitre 21 Ap 21:2, "la Jérusalem Nouvelle, qui descend du ciel".
- Soit un tableau récapitulatif des autres visions, évènements passés avec un parallèle avec Ap 12(3) ;
cette période de 1000 ans serait entre les deux avènements et il faut alors admettre que le diable est actuellement lié afin que les nations ne soient pas séduites.

Remarques pour l'exégèse de ce texte Apocalypse 20 :

 
- "Le mot résurrection (anastasis), employé à 42 reprises, ne désigne jamais la regénaration dans le N.T. Toutes les utilisations du terme décrivent une résurrection corporelle ou l'annonce de la résurrection future. Certes, nous sommes ressuscités avec Christ (Ep 2:6 ; Col 2:12; 3:1), mais c'est la métaphore de "se lever" (egeiro)* qui est employée. Le mot anastasis utilisé en Apocalypse 20 est exclusivement réservé à la résurrection physique." Florent Varak prémillénariste (cf. Deux perspectives sur le Millénium, Pascal Denault & Florent Varak - Editions clé, déc. 2021 - p 80-81).
 
(*) NDLR :  Dans le N.T. le mot grec 'egeiro' est aussi utilisé dans le sens de résurrection corporelle. Ep 1:20 "Il l ’a déployée en Christ, en le ressuscitant (egeiro) des morts".
On peut y ajouter de multiples autres références Mt 14:2; 16:21; 17:23; 26:32; 27:52, 63, 64; 28:6,7 ; 1 Co 15:4 etc. Ici, le vocabulaire ne semble pas déterminant.

- La référence à Ézéchiel 38-39 "Gog, au pays de Magog" est déjà présente en Ap 19:17-18 (Ez 39:17-20) avant Ap 20:8. Ceci, contre une interprétation déduite seulement d'une lecture chronologique.

- Si "Les nouveaux cieux Et la nouvelle terre" d'Ap 21:1 décrivent l’accomplissement des prophéties de l'A.T. comme Es 65:17; 66.22, alors les textes d’Ésaïe invoqués pour le Millénium, devraient être interprétés à la lumière d'Ap 21:4 ; de même Ésaïe 11:9-12 ; Habacuc 2:14 ; Zacharie 14:9,16 ? (cf. LA CRÉATION A-T-ELLE UN AVENIR ? L’eschatologie, les nouveaux cieux et la nouvelle terre - Donald COBB).
 
 

Le Millénium :


Ce qu'il n'est pas (anciennes interprétations) :

 
- Le règne de la chrétienté (des princes) depuis Constantin, comme on peut le lire encore, avec un sens plutôt littéral pour 1000.
- Le règne terrestre visible de l’Église comme puissance détentrice du pouvoir spirituel.
 
--  Que dit Augustin dans "La cité de Dieu" ?
"L’Église règne donc ici d'abord avec Jésus-Christ dans les vivants et dans les morts".
"Car les âmes des justes, après leur mort, ne sont point séparées de l’Église qui aujourd'hui même est le Royaume de Jésus-Christ".
Les nations : "afin qu'il ne séduise plus les nations que l’Église réunit", 
"« les nations» par lesquelles il veut sans doute faire entendre l’Église"
Et j'ai vu des trônes : Et il ne faut pas croire que ces paroles concernent le jugement dernier ; 
il s'agit ici du trône de ces juges et de ces juges eux-mêmes qui gouvernent l’Église. 
  NB : Le tableau d'Ap 20, ne supporte pas trop que l'on presse le texte.

Cette interprétation d'Augustin est celle de l’Église historique.
S'il s'agit du règne spirituel de l’Église, il n'est probablement pas sous sa forme visible et institutionnelle
Voir la proposition E.B. Allo ci-dessous.

Ce qu'il peut difficilement être, pris séparément (commentaires actuels) :

 
- Le règne des élus au ciel, "l'état intermédiaire des saints après la mort".
 (cf. Commentaire sur l'Apocalypse de Jean - Sylvain Romerowski - juillet 2020 p. 546-553).
 
Cette thèse détruit l'interconnexion du règne des élus (alors au ciel) Ap 20:6 et de l'enchaînement du diable afin qu'il ne séduise plus les nations Ap 20:2-3. 
Mais "En quoi l'enfermement-enchaînement de Satan - vu, en outre, sous l'angle de ses effets terrestres puisqu'on le dit impuissant face à l'évangélisation du monde - peut-il influer sur la situation des croyants décédés et donc déjà au ciel ?" (cf. L'Apocalypse ou le triomphe de Jésus-Christ - Maurice Hadjadj p. 392).
 
De plus, dans l’Écriture, la résurrection n'est pas associée à l'entrée des martyrs ou des saints dans la béatitude éternelle aussitôt après leur mort, bien que celle-ci parle d'une vie de l'Esprit Ph 1.23 ; 1 Pi 4:6 ; Ap 14:13.

 - Les croyants encore sur la terre (1 Pi 2:5,9), depuis la  glorification du Fils et le don de l'Esprit à la Pentecôte, (la position d'Hadjadj cité ci-dessus).
 
Ce serait le règne des saints ici-bas Jn 5:25 ; Ep 2:6. Mais il faut alors accepter que "la première résurrection" soit la "nouvelle naissance", ce qui ne semble pas conforme au contexte immédiat (les âmes de ceux qui avaient été décapités Ap 20:4), même si l'on prête à Jean, un regard rétrospectif. 
 

Les deux interprétations influentes, dites pré-millénarisme et a-millénarisme : 

 

a) Une résurrection réelle, période intermédiaire après la Parousie.

 
La Parousie ayant lieu avant les 1000 ans, pour les pré-millénaristes à la suite d'Irénée"(6)
Mais cette compréhension, n'est pas sans poser des problèmes d'exégèse avec d'autres textes des Écritures (documentés par les a-millénaristes).
Toutefois Irénée, malgré l’absence d’attestations du millénaire dans les autres livres du Nouveau Testament, s'appuie pour sa démonstration sur les Écritures et ce en dehors de l'Apocalypse à l'exception d'Ap 20:6a qui est cité "Heureux et saints ceux qui ont part à la première résurrection !".

b) Une résurrection spirituelle : (E.B. Allo (8), fondée sur la lecture d'Augustin). 

 
La figure du règne spirituel de l’Église militante, unie à l’Église triomphante, depuis la glorification de Jésus, jusqu'à la fin du monde
Cette proposition rassemble les deux commentaires ci-dessus, règne sur terre des croyants vivants et règne au ciel des bienheureux. La première résurrection est ici la naissance à la vie du Christ, qui se prolonge dans le ciel à la mort (Col 3:1 ; Ap 14:13).
 
- Cette lecture sous forme de récapitulation, semble une vraie alternative à celle de type "millénariste" qui elle, s'inscrit dans une suite chronologique d'évènements. 
 
- Toutefois, beaucoup de commentateurs soulèvent des difficultés :
L'auteur de l'Apocalypse oppose à ceux qui bénéficient de "la première résurrection" Ap 20:6, "Les autres morts" Ap 20:5. Le contexte semble indiquer une mort physique et non spirituelle ("les âmes de ceux qui avaient été décapités" Ap 20:4). De ce  fait l'expression "Ils revinrent à la vie" ou "ils vécurent" Ap 20:4, ne peut être un synonyme de "la nouvelle naissance" ou "régénération" pour les croyants sur terre (cf. Nouveau commentaire biblique - Éditions Emmaüs 1987 p. 1374, G. R. Beasley-Murray (1916-2000)).

Cette interprétation à la suite d’Augustin, est-elle entièrement satisfaisante
C'est la question de Lassus, à la fin de son article "Le règne de mille ans dans l’Apocalypse (1/2)"(10) (p.66-67). En voici quelques extraits avec ajout soulignements :
Il nous semble qu’il reste des difficultés sérieuses.
Tout d’abord, pour Augustin, ceux qui règnent pendant le millénaire sont les chrétiens baptisés, alors que l’Apocalypse ne parle que des martyrs : « ceux qui furent décapités » Ap 20:4 ...
De même, il est loin d’être évident que ceux qui siègent sur des trônes pour juger soient les préposés de l’Église.
En outre, peut-on affirmer que le diable est en prison pendant le temps de l’Église ? 
« Comment pourrait-on dire que le dragon est emprisonné et incapable de tromper les
nations
alors que c’est précisément ce à quoi s’applique la bête qu’il dirige ? »(12)
Enfin, peut-on vraiment dire que les mille ans s’identifient au temps de l’Église ? Cette interprétation est critiquée par Rochais(13) (suit le texte non cité ici, voir (10) p. 67)
L'auteur propose ensuite un "ESSAI D’INTERPRÉTATION EXÉGÉTIQUE DU MILLÉNAIRE"(11).
Les martyrs « reprirent vie » [ezèsan]. De quel type de résurrection s’agit-il ? 
De la naissance à la vie divine, ou bien de la résurrection des corps ? 
Nous avons vu qu’Augustin interprétait cette résurrection dans le premier sens ...
Mais s’agit-il du sens du texte de Ap 20, 4 ? On peut en douter en remarquant que l’Apocalypse parle de ceux qui sont morts ; elle ne parle pas ici d’une mort au péché mais d’une mort physique par le glaive. Dès lors, il ne semble guère possible que la résurrection évoquée soit purement spirituelle. Il doit bien s’agir d’une résurrection selon la chair. En outre, le même verbe apparaît au verset suivant : « Les autres morts ne purent reprendre vie [ou ezèsan] avant l’achèvement des mille années » (Ap 20, 5), ce qui semble bien désigner une résurrection selon la chair, et on voit mal le même verbe signifier deux résurrections différentes, l’une spirituelle (v. 4) et l’autre selon la chair (v. 5) à un verset d’intervalle 14. Les deux versets parlent donc d’une résurrection corporelle. La « première résurrection » serait donc celle des martyrs, suivie « après le millénaire » de celle des autres hommes.
Mais une difficulté surgit immédiatement : nous ne voyons pas que les martyrs vivent déjà maintenant la résurrection de la chair, puisque nous honorons beaucoup de leurs reliques… 
(p. 116-117)
Dire que les martyrs ressuscitent « avant » les autres hommes ne doit sans doute pas être interprété dans un sens chronologique, mais plutôt dans un sens symbolique : celui d’une préséance (p. 118).
Nous avons expliqué plus haut pour quelles raisons le millénaire du chapitre 20 semblait décrire un règne céleste sans fin. Toutefois, avant de pouvoir le conclure avec certitude, il nous faut résoudre le problème épineux du combat mentionné à la fin du millénaire. En effet, si un combat suit le millénaire, cela semble indiquer que celui-ci a un terme temporel…
Comment comprendre ce combat exposé après le millénaire ? Nous disons bien qu’il est exposé après le millénaire ; cela ne veut pas nécessairement dire qu’il a lieu après celui-ci, car il faut bien distinguer dans l’Apocalypse l’ordre littéraire d’exposition des tableaux de l’ordre chronologique des événements décrits (p. 126-127).
La récapitulation de la bataille de Ap 19 (accent sur le Christ) en Ap 20 (accent sur Satan) a pour but d’établir plus fermement la référence de l’Apocalypse au livre d’Ézéchiel (p. 128).
Conclusion ...
Nous avons tenté de démêler patiemment l’écheveau afin de mieux comprendre le sens de ce passage mystérieux. Il semble finalement que le millénaire soit la manière originale de l’Apocalypse de présenter une récompense spéciale offerte aux martyrs afin d’exhorter de manière plus puissante les chrétiens à la fidélité (Ap 13:9-10). Les martyrs jouissent d’une vie éternelle et d’un règne sans fin avec le Christ, d’une manière qui fait intentionnellement contraste avec la durée du règne de la Bête sur la terre (2 Tm 2:11) ... (p. 132-133).
Pour bien comprendre l'exégèse de l'auteur, il est nécessaire de lire entièrement son deuxième document. 
Pour lui, la première résurrection est corporelle, dans le sens de préséance. Ce règne céleste concerne un seul groupe les martyrs et est dans "l’Éternité" (hors du temps) ; ce qui n'est pas forcément en opposition avec le point de vue de  Cuvillier qui présente une autre facette où "ce règne céleste des martyrs se déroule à l'intérieur de l'histoire humaine" (2e document (3), p. 425). 
Le combat qui suit Ap 20:7-10 est compris comme une récapitulation des combats précédents.

Ces interprétations de l'Apocalypse 20, si nombreuses et diverses dans leurs détails, souvent contradictoires, conduisent à penser que ce texte est purement allégorique. Il nous oblige à entrer dans le langage symbolique de l'Apocalypse. Évitons de nous égarer dans de fausses pistes en interprétant les images à la lettre. 

Conclusion :

 
- Le texte d'Apocalypse 20 interprété à la lumière de l'ensemble des Écritures, et non de façon isolé, reste une énigme.Il nous faut probablement entendre ce texte de façon naturelle pour ce qu'il a à nous dire. Il est une exhortation à la persévérance des fidèles, et marque le triomphe des martyrs à la suite du Christ.
La référence aux "décapités" est centrale et empêche une interprétation du type Augustin.
Une herméneutique basée, sur une lecture de l'A.T. à la lumière du N.T., conduit à l'impossibilité  d'une période intermédiaire, "quand la lumière est au zénith, il n'y a plus d'ombres", sinon cela signifierait que la Parousie au second avènement ne serait pas totale.
Devant de telles difficultés d'interprétation au regard des autres textes de la révélation, il paraît préférable de se défaire des grilles eschatologiques (pré-,  a-, post-) et de se ranger derrière l'avis d'Alexandre Westphal (9) : "Le Millénium est une lumineuse vision, une parabole du triomphe final du Christ et de son règne. Si on la fait descendre sur le plan du calcul, on n’arrive pas à faire que les détails s’emboîtent".

 
Autres auteurs :
(5) Livre "L'histoire du Salut chez les Pères de l’Église - La doctrine des âges du monde"
      par Auguste Luneau, Ed Beauchesne 
(7) « Apocalypse 20, 1-15. Entre millénarisme et jugement ? », Simon C. Mimouni sur Academia
(8) Saint Jean : l'Apocalypse 1921 par E.B. Allo (1873-1945) pages 292-302
EXC. XXXVII. - LE MILLENIUM JUIF ET JUDEO-CHRETIEN ET CELUI DE l'APOCALYPSE.
(9) Millenium Dictionnaire Biblique Westphal - Alexandre Westphal (1861-1951)
(10) Le règne de mille ans dans l’Apocalypse (1/2), Alain-Marie de Lassus, Revue Aletheia n° 53.
       (Les interprétations et critiques)
(11) Le règne de mille ans dans l’Apocalypse (2/2), Alain-Marie de Lassus, Revue Aletheia n° 54.
       (Essai d'interprétation exégétique du millénaire)
(12) Pierre De Martin de Viviés, Apocalypse et cosmologie du salut, 
        Lectio Divina 191, Paris, Cerf, 2002, p. 359
(13) Gérard ROCHAIS, « Le règne des mille ans et la seconde mort », NRT 103 (1981), 851-852.


 
 
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 Heureux celui qui lit 
et ceux qui entendent les paroles de la prophétie, 
et qui gardent les choses qui y sont écrites ; 
car le temps est proche ! 
Ap 1:3








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